Au Sénégal, les conséquences désastreuses de la fermeture de la liaison Dakar-Ziguinchor
Depuis le 2 juin, la ligne maritime entre la capitale sénégalaise et la grande ville de Casamance est à l’arrêt, impactant lourdement l’économie de la région sud.
Les palettes de mangues séchées de Xavier Diatta pourrissent à vue d’œil. Stockées dans des conteneurs, elles attendent depuis plus de quatre mois d’être expédiées de Ziguinchor, dans le sud du Sénégal, à Dakar, quelque 270 kilomètres plus au nord. « Leur commercialisation, je peux oublier, se désole le patron de Casa Industries SA, qui exporte des produits agricoles transformés. Ce sont des pertes que je n’ai pas encore évaluées mais c’est énorme. »
Depuis le 2 juin, la liaison maritime entre la grande ville de Casamance et la capitale sénégalaise est à l’arrêt. Une décision prise par le ministère de la pêche et des affaires maritimes « pour des raisons de sécurité nationale », selon une source au sein de l’administration.
Après la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse » le 1er juin, de violentes manifestations avaient éclaté à Dakar et Ziguinchor – la ville dont il est maire –, entraînant la mort de vingt-trois personnes, selon Amnesty International. « L’Etat a soupçonné que des gens prenaient le bateau en Casamance pour provoquer des troubles à Dakar. C’est une décision politique du président Macky Sall qui a de la rancune à l’égard de cette région qui l’a repoussé », estime Abdou Sané, conseiller municipal de Ziguinchor.
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Bien que le calme soit revenu depuis, aucune date de reprise de la liaison maritime n’a été annoncée. Une suspension prolongée qui pèse lourdement sur l’économie casamançaise. Séparée du reste du pays par la Gambie et affectée depuis quarante ans par le conflit qui oppose l’Etat et les séparatistes du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), la région est enclavée.
Une flotte de navires opérationnelle
Avant les troubles de juin, deux rotations maritimes vers la capitale avaient lieu chaque semaine. « Nous avons trois navires pour le fret et le transport de passagers, deux qui ont une capacité de 500 tonnes et le dernier de 200 tonnes », précise Abdoul Salam Kane, directeur d’exploitation du Consortium sénégalais d’activités maritimes (Cosama), la société qui gère la liaison maritime Dakar-Ziguinchor. La flotte, ajoute-t-il, est opérationnelle et prête à reprendre du service.
Depuis Ziguinchor, les bateaux transportent habituellement vers Dakar des fruits locaux comme des mangues, des oranges ou des mads, mais aussi des légumes, du poisson et des produits issus de la forêt, autres que le bois. Dans l’autre sens arrivent des biens manufacturés, des voitures, de l’électroménager, du gaz ou des médicaments. Pour les acheminer aujourd’hui, « il ne reste que la voie routière dont les coûts de transport sont plus élevés. Cela se répercute sur le prix de vente des produits. Le pouvoir d’achat des populations locales a donc baissé et les ménages sont en train de souffrir », constate Abdou Sané.
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Les avions, encore plus coûteux, ne sont pas une option pour les marchandises. Par ailleurs, l’aéroport de Ziguinchor, fermé pour rénovation, a été remplacé par celui de Cap Skirring, à 70 kilomètres de la capitale régionale, et les appareils qui s’y trouvent ne peuvent pas transporter de grosses quantités de marchandises.
La filière de la noix de cajou fortement impactée
« Nous sommes obligés d’utiliser les camions et c’est plus risqué car les véhicules peuvent tomber en panne et les conteneurs chuter, explique Siaka Diallo, président des commerçants exportateurs de la filière anacarde du Sénégal. Et cela prend deux à trois jours à cause de la qualité des routes, alors que le navire est beaucoup plus rapide ». Des complications logistiques qui affectent notamment la filière de la noix de cajou, l’une des plus porteuses de la région.
Même si la quantité de noix de cajou exportées à l’état brut a augmenté – passant de plus de 82 000 tonnes en 2021 à près de 150 000 tonnes en 2023 –, l’acheminement par la route pourrait représenter « un manque à gagner pour l’économie locale d’environ 1 milliard de francs CFA [quelque 1,5 million d’euros] comparé au transport par voie maritime », estime Jean-Bertrand Badiane, secrétaire général de la Chambre de commerce, d’industrie et de l’agriculture de Ziguinchor.
« Toute la filière et les activités qui en dépendent sont touchées », poursuit-il, avec des dockers condamnés au chômage technique, des restaurants qui se sont vidés, des boutiques appauvries par le manque de clients…
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Pour sortir la Casamance de son isolement, Jean-Pascal Ehemba, président de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Ziguinchor, veut pourtant miser sur le port. « Nous sommes aussi en train de négocier avec l’Etat afin de pouvoir exporter directement nos produits de Ziguinchor vers la destination finale sans passer par Dakar », explique-t-il. Pour le moment, les noix de cajou casamançaises à destination des marchés indiens, chinois ou pakistanais doivent d’abord passer par le port de Dakar avant d’être exportées.
De son côté, l’entrepreneur Xavier Diatta a lancé une pétition en ligne pour demander la réouverture de la ligne maritime, qui a dépassé les 4 000 soutiens le 23 octobre. « Si nous atteignons les 5 000 signatures, le Conseil économique et social [une institution consultative] sera obligé d’organiser une session pour discuter de cette problématique. Et s’il ne le fait pas sous les huit jours, c’est à l’Assemblée nationale de s’emparer du sujet », espère Xavier Diatta, soucieux de pouvoir reprendre ses activités dès que possible.